Réginald Dortomb, un héros de l'ACA

Un des meilleurs buteurs du club

Son nom n’est pas le plus célèbre et pourtant, Réginald Dortomb a marqué l’histoire de l’ACA. Acheté par Bordeaux pour 24 millions de francs, l’attaquant avait rejoint l’ACA en 1970 pour 5 000 francs seulement. Classé parmi les meilleurs buteurs de l’histoire du club (27 buts), Réginald a été l’un des artisans de la fantastique saison de l’ACA (1970/1971) qui avait frôlé l’Europe en terminant 6e du classement de première division! Réginald Dortomb est revenu à Ajaccio en 2017 pour assister à l'événement 66, nous avions eu le bonheur de le rencontrer. L'attaquant continue de suivre les résultats de l'équipe aujourd'hui et écrit régulièrement à l'ACA. Redécouvrez son histoire à travers l'interview de Frédéric Bertocchini.

Un quadruplé contre Bastia

Comment avez-vous atterri à Ajaccio en 1970?
C’est une longue histoire. J’étais sous contrat avec Bordeaux. J’avais signé un contrat de trois ans avec cette équipe qui était alors deuxième de première division, derrière Saint-Etienne. Mais je ne me plaisais pas en Gironde. J’ai donc été prêté à Nîmes. A la fin de la saison, le coach nîmois me dit que je peux partir en vacances et qu’un accord sera trouvé entre Nîmes et Bordeaux pour un transfert définitif. Lorsque je suis revenu de vacances, on m’a dit qu’il y avait un souci, et que mon contrat n’avait pas été homologué. Les dirigeants de Bordeaux m’ont donc demandé de revenir en Gironde. Mais j’étais bien décidé à partir. Je ne voulais plus jouer à Bordeaux. C’est alors qu’Antoine Federicci, de l’ACA s’est mis en contact avec les Girondins. Par la suite, tout a été très vite. C’est par téléphone que le transfert s’est réalisé. Il était dérisoire. Il me semble qu’Ajaccio avait payé 5 000 francs pour racheter mon contrat, alors que Bordeaux m’avait transféré de Rouen pour 24 millions un an auparavant. Je me suis donc retrouvé à Ajaccio, dans une équipe que l’on qualifiait de laissés-pour-compte à l’époque.

Qu’est-ce que représentait l’AC Ajaccio à cette époque là, dans le monde du football?
Il y avait Bastia et Ajaccio. C’est vrai que sur le plan image, l’A.C.A. était un petit club. Mais on savait aussi que sur le plan footballistique, c’était très difficile d’aller jouer en Corse. Il y avait dans cette époque, toute la volonté de la Corse. Mais c’est vrai que c’était un tout petit club.

Vous avez joué avec de grands joueurs, comme Marius Trésor, Dominique Baratelli, ou François M’Pelé…
Oui, Trésor, M’Pelé, mais aussi Tassone de Marseille, Le Lamer de Nantes. Il y avait vraiment une belle équipe. Ca paraît incroyable lorsqu’on y pense, parce qu’il y avait vraiment un effectif réduit. En très peu de temps, les joueurs ont appris à se connaître et se sont trouvés sur le terrain. Nous avons commencé la saison sans vraiment nous préparer tactiquement, et pourtant, nous étions bien là. Je me souviens que nous avons joué notre premier match contre Nancy, qui était une équipe bien plus structurée que la nôtre, et pourtant, nous avons gagné 5 à 0. Ca été le début d’une saison plus bénéfique puisque nous avons terminé cinquième de première division.

J'ai ressenti du bonheur sur cette île

Vous avez raté une qualification en coupe d’Europe de très peu, est-ce que vous avez été déçu, en fin de saison, de terminer cinquième?
Oui. Parce que ça s’est joué sur rien du tout. Je me souviens d’un match contre Nîmes, au cours duquel nous menions deux buts à un. Nîmes a su renverser la tendance et s’est qualifié pour la coupe d’Europe à notre dépend. Si nous avions remporté ce match, je pense que nous aurions été européens. Mais à cette époque là, la coupe d’Europe avait moins de prestige qu’aujourd’hui. Avec du recul, je me demande si nous avions conscience de ce qui nous arrivait. Nous n’avions pas conscience de ce qu’aurait pu nous rapporter une qualification en coupe d’Europe.

Il faut dire qu’à l’époque, la médiatisation n’était pas aussi forte qu’aujourd’hui. Vous êtes donc resté deux ans à Ajaccio…
Oui, et je peux dire qu’aujourd’hui, sur le plan psychologique, c’est le club où je me suis senti le mieux dans ma carrière. Est-ce que c’était le climat, l’ambiance, ou les résultats, je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est qu’il y avait une osmose entre les joueurs. Le fait qu’on soit l’équipe des laissés pour compte, nous a sans doute révolté, et nous avons sorti une grosse saison.

Le fait que vous soyez dans le plus petit club de première division, ne vous a-t-il pas aidé à vous surpasser?
Oui, nous étions une équipe de revanchards. La vie n’est faite que de hauts et de bas dans le football. Signer à Ajaccio, quelque part, c’était être touché dans son amour propre. A cette époque là du moins. Tous les ans, les observateurs nous voyaient plonger et descendre en deuxième division.

Est-ce que vous vous souvenez des derbys contre le SECB?
Ah, ça oui. Ce sont des souvenirs extraordinaires. Je me souviens qu’il y avait des ambiances de folie dans le stade. Je pense que lorsqu’on est attaquant, il faut savoir forcer la réussite. Et un jour, au stade François-Coty, j’ai eu la chance de marquer quatre buts contre Bastia. Nous avons gagné 6 buts à 1. J’ai tiré cinq fois au but, et quatre fois, j’ai fait mouche. Il y avait une ambiance extraordinaire. Au match retour, les Bastiais nous attendaient de pied ferme. Les Bastiais restaient sur une belle victoire devant Saint-Etienne 4 à 0, et franchement, nous craignions beaucoup cette rencontre à Furiani. Nous étions donc très attendus. Et là, nous avons remis ça, en gagnant 4 à 1, avec un quadruplé de François M’Pelé. A cette époque, nous étions plus forts que Bastia. Ils ont pris Cahuzac comme entraîneur dans la foulée, et là…

Vous avez marqué quatre buts dans un match contre Bastia. Vous étiez un vrai héros à Ajaccio par la suite non?
Héros, c’est un grand mot. Mais je me souviens du regard des gens, lorsque j’allais faire mes courses au marché. J’ai été très touché par l’attention que les Ajacciens m’ont porté. Je me souviens qu’en allant acheter du poisson, un pêcheur m’a offert une langouste parce que j’avais marqué quatre buts contre Bastia. Le regard des Ajacciens, des Corses, et la chaleur que m’a apporté cette ville, m’ont beaucoup plus touché que le coté « héros ». Je mouillais le maillot d’un club corse, et je pense que les Corses ont apprécié.

Et aujourd’hui, est-ce que vous revenez quelquefois sur l’île?
Oui, je viens souvent en vacances. Ca m’a déchiré de cœur de quitter Ajaccio. Lorsque j’ai fait mes valises, j’aurai voulu croiser un journaliste pour lui dire tout le bonheur que j’ai ressenti de vivre sur cette île. La Corse m’a apporté un tel bonheur ! Il y a sur cette île, dans cette ville et dans ce club, une vraie chaleur humaine. Le courant passait bien entre les supporters et moi. J’ai ressenti ce passage à Ajaccio comme un partage, un échange complice. De ce fait, je reviens en Corse dès que je le peux, et j’aimerais même y finir mes jours.

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